L’imaginaire et la réalité parfois se télescopent, se complètent, s’enrichissent l’un de l’autre. Il est parfois difficile de témoigner de ce que nous avons vécu, de communiquer nos sentiments et nos pensées. Aussi, nous cherchons à inventer un récit, avec la tentation de décrire non pas avec objectivité, mais en cherchant une cohérence qui réinterprète, avec bonne foi ou pas, des évènements, des lieux, des rencontres, pour restituer les apparences de la réalité.
La narration prend le chemin d’un vécu arrangé pour s’approcher du réel. Elle a souvent besoin d’artifices, d’une sorte de fiction réelle, pour dire la vérité, un peu comme on se réfugie dans l’obscurité pour mieux voir quand la lumière nous aveugle. La fiction, c’est l’ombre de la vérité. Raconter, c’est établir une relation entre la réalité du monde et nos images intérieurs, entre le monde extérieur et ce que nous en percevons et l’interprétation que nous en faisons.
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- A l'origine
- Patago... quoi ?
- La découverte. Quelle découverte ???
- Deux pays, une région
- Antoine de Tounens
- Voyage inacompli
- Patagonie intérieure
- A suivre ...
Voilà le récit d'un voyage qui n'a pas eu lieu. L'idée d'un départ était née, il y a longtemps, c'est à dire... avant guerre. Et puis, de confinements en gestes barrières, de jauges en distanciations sociales, de passe sanitaire en passe vaccinal, il est resté à l'état de fantasme.
Ceci dit, l'avantage des voyages que l'on ne fait pas, c'est qu'ils ne finissent jamais. Ils résistent à l'abandon des souvenirs quand d'autres rouillent dans le grenier de la mémoire. Ils sont intemporels et utopiques.
Certains disent qu'un voyage n'existe que lorsque l'on est revenu. Passé le voyage, c'est le temps de la narration. J'ai choisi de raconter celui-ci avant le départ.
D'où, vient ce nom de Patagonie ? Comme toujours, les avis divergent. Tant mieux, autrement, ça ne serait pas marrant. Il faut remonter en 1519. Nous sommes à Séville en Espagne. Il s'y prépare une expédition autour du monde commandée par un dénommé Fernand de Magellan, un Portugais au service du roi d'Espagne, Charles 1er, comme Ronaldo était au service de Manchester United.
L'aventure démarre le 10 août 1519 (je n'ai pas retenu l'heure). A son bord, se trouve Antonio Pigafetta, un Italien. Notre Tonio, est venu à Séville accompagner un nonce apostolique, Monseigneur Chieregati, en tant que secrétaire. Le nonce, sympa, lui trouve du "taf" dans l'équipage de la flotte de Magellan. Pigafetta, au cours du voyage, aura la charge de tenir le journal de bord et à ce que l'on dit, il le fera très bien.
Quelque temps plus tard, au début de l'année 1520, notre petit monde aborde les côtes de l'extrême sud de l'Amérique. Je ne sais si c'est une vue déficiente ou un abus d'alcool, mais l'équipage dit avoir aperçu un géant qui était, écrit-il : « tant grand que le plus grand de nous ne lui venait qu'à la ceinture ». Peut-être qu'ils n'étaient pas bien grands ces marins !
Mais quel rapport avec la Patagonie ? Pour certains, le mot viendrait de "pata", pied en espagnol. Pata, Patagonie, vous voyez, il n'y a qu'un pas, si j'ose dire. D'autres, pour emmerder les premiers, sans doute, disent autre chose. Non, cela viendrait de "patan", signifiant, toujours en espagnol, pataud, c'est-à-dire rustre, inculte. C'était un peu comme ça qu'ils devaient percevoir les autochtones, par rapport à eux, si intelligents. Donc, l'explication n'est pas aussi stupide que ça.
L'hypothèse, aujourd'hui, généralement retenue fait venir le mot du personnage fantastique appelé « Patagón », une créature sauvage qu'affronte Primaleón en Grèce dans un roman de chevalerie publié en 1512 par Francisco Vázquez. Cette littérature de l'époque, sans doute connue de Magellan et Pigafetta, les a fait associer les autochtones rencontrés, avec leurs peaux d'animaux en guise de vêtement et leur consommation de viande crue, à la créature décrite par Vázquez dans son roman. Pigafetta écrit dans son journal "le capitaine appela cette manière de gens Pataghoni ». La légende était née. Elle devait perdurer jusqu'à la fin du 18e siècle.
Mensonge, vérité, qu'importe. Elle nous a laissé un nom, Patagonie, qui aujourd'hui encore fait rêver et invite au voyage. Et puis, les légendes sont comme les promesses électorales, elles n'engagent que ceux qui les croient.
En 1520, notre copain Magellan, quand il arrive sur les côtes du sud de l’Amérique, il découvre… ben ! Rien du tout. D’autres étaient passés avant lui. La région était habitée depuis ….. longtemps. Les premières traces d'une population ayant vécu dans ce que l'on nomme aujourd'hui la Patagonie remontent à 35 000 ans av. J.-C., comme le démontrent des fouilles archéologiques. Question découverte, il était un peu à la bourre, le petit père Magellan. Sans compter, que le continent américain avait déjà été visité par des Européens. Pour l’Amérique du Nord, c’est sûr. Demandez aux Vikings. Pour le sud, le Fernand, il devait bien avoir une petite idée. Au XVe siècle, contrairement à certaines idées reçues, le fait que la terre soit ronde, était connu depuis l'Antiquité. Comme quoi dans l’Antiquité, avec un A majuscule, il n’y avait pas que des cons. Enfin, pas plus qu’aujourd’hui. On dit aussi qu'il existait, bien à l'abri, dans des bibliothèques, des cartes de cette partie du monde dont Magellan aurait eu connaissance.
Bon, mais tout ça, bien sûr, n'enlève rien à la difficulté de l'entreprise. Il fallait une bonne dose de courage, de volonté pour partir ainsi à l'aventure. A l'époque, les bateaux étaient moins sûrs, moins rapides, moins maniables, moins confortables qu'aujourd'hui. Les marins disposaient de quoi pour naviguer ? Une boussole, un sextant, leur science des étoiles et... leur bon sens pour se débrouiller avec rien. Pas de balises de détresse, pas de radio, pas GPS, pas de téléphone portable, pas d'ordinateur de bord, pas de 4 ou 5 G pour faire le point. Non pas le point G ! Je vous vois venir. L'eau, la nourriture, c'était aussi un problème à l'époque. Comment se ravitailler et comment conserver les produits élémentaires à la survie. De nos jours, quand les messieurs de la télévision nous parlent d'aventure, genre Paris-Dakar, (bon, ok, ça fait vendre de la "réclame"), ils devraient quand même mettre ces "exploits" en perspective.
Et puis, sur les territoires, prétendument « découverts », il y avait des habitants quand l’équipe de Magellan y arrive. Alors qui découvre qui ?
La Terre de Feu, comme on la nomme de nos jours, fut habitée pendant environ 10 000 ans par plusieurs peuples, les Selknams ou Onas, les Yámanas ou Yaganes, les Alacalufes ou Kawaskhar, le Haush ou Manneken, les Tehuelches. Autant de peuples qui ont découvert… Magellan et sa clique. Ça a du leur faire bizarre de voir arriver tout ce monde sur de drôles d’embarcations, eux qui naviguaient en canoé. Aujourd'hui, ce n'est pas pareil, les gens du coin, ils ont l'habitude de voir des touristes. Alors, les appareils photos, les téléphones portables, et que je me fasse un selfie et puis un autre, ça ne les étonne plus. Peut-être que ça les fait "chier" tous ces gens qui débarquent chez eux. Mais, voilà, c'est bon pour les affaires.
A l'époque, c'était différent. D'abord, ils sont venus jeter un coup d'oeil, sans selfie, et puis ils ont passé leur chemin. C'est en suite que ça s'est gâté quand ont débarqué les colons et les missionnaires. Tous ces gens-là, sont restés et ont pris position. Attention ! Par position, je ne parle pas de celle du missionnaire. Ça a dû les faire " chier " aussi, mais ça ne leur a rien rapporté à eux... enfin que des "emmerdements".
Les Selh’nam ont donné son nom original à l’île de la Terre de Feu « Karukinka ». Ils vécurent dans le nord de l’île dominée par l’immense pampa et dans les forêts du sud au climat inhospitalier avec des étés courts et des hivers longs et froids.
Les Yamanas étaient des nomades qui ne passaient que quelques semaines au même endroit. Ils vivaient le long des côtes de la Terre de Feu ainsi que les côtes environnantes du Cap Horn. Leurs habitations étaient des huttes faites de troncs d'arbres et de branches de forme conique. Comme d’autres peuples, les Yamanas la rencontre avec les Européens va entrainer petit à petit leur disparition. Les Yamanas vont être progressivement attaqués par des maladies comme la tuberculose, la rougeole et la syphilis.
Le peuple Kawashkar vivait le long des côtes entre le golfe de Penas et le Canal de Cockburn dans la partie ouest de la Terre de Feu, région pluvieuse avec une végétation dense où les conditions sont rudes. Les îles étaient pratiquement inaccessibles en raison de leur absence de plages et de la densité de la forêt.
Les Haush vivaient dans la partie orientale de la Grande Île de la Terre de Feu, entre la Baie de Buen Suceso et le Cap San Pablo. Ils étaient des nomades, chassaient et pechaient pour subsister.
Les Tehuelches vivaient dans la steppe, entre la rivière Negro et le détroit de Magellan. Ils ont été appelés « Patagons » par les navigateurs européens. Les fameux supposés géants qui donnèrent le nom à la région.
La Patagonie, également appelée « Le Grand Sud », région géographique du cône sud du continent américain. Elle fut partagée entre l'Argentine et le Chili en 1881, après un certain nombres de litiges entre ces deux pays. Il y a donc deux Patagonies au plan politique, deux espaces séparés par la cordillère des Andes.
Ses montagnes, ses glaciers, sa pampa, ses forêts, son littoral atlantique et pacifique, ses îles et archipels en font une terre de paysages pleins de contrastes.
Avec sa superficie d'environ 1 000 000 de kilomètres carrés et ses 4 300 000 habitants, elle est une des régions les moins peuplées au monde avec une densité de population inférieure à 5 habitants aux km2.
La partie argentine représente les 2/3 de la superficie totale et s’étend sur cinq provinces : Neuquen, Rio Negro, Chubut, Santa Cruz et la Terre de Feu.
Le territoire de Patagonie chilienne, inclut, au sens large, la région d'Araucanie. Elle comprend du nord au sud : la région de Temuco, la région des Fleuves et de Valdivia, la région des lacs et de Puerto Montt, la région d’Aisén, la région de Magellan et de l’Antarctique chilien.
Historiquement, on l’a dit, les premiers Européens à pointer officiellement le bout de leur nez faisaient partis de l’expédition de Fernão Magalhães (Ferdinand de Magellan). Il y eut ensuite quelques expéditions espagnoles. En particulier, en 1557, celle de Juan Ladrillero, et en 1580, de Pedro Sarmiento de Gamboa.
Au siècle suivant, jusqu’à la fin du 19e arrivèrent les inévitables Anglais, suivis de Hollandais, de Français et bien sûr d’Espagnols. C’étaient la chasse à la baleine qui attiraient ces gens-là et puis, ça ne m’étonnerait qu’à moitié, certains venaient surement jeter un coup d’oeil pour voir si par hasard, il n’y aurait pas de la « tune » à se faire. Il eut également des expéditions scientifiques. La plus célèbre sillonna les eaux de la région entre 1826 et 1834, et comptait parmi ses membres Charles Darwin. Après la Patagonie, l’expédition pris la direction des îles Galápagos. C’est au cours d’un de ces voyages que Darwin développa sa théorie de l’évolution.
Avant l’indépendance du Chili et de l'Argentine, les natifs, en particulier les Mapuches, n’avaient cessé de lutter contre les Espagnols avec de nombreux revers, mais également un bon nombre de succès. Ne pouvant les soumettre, les Espagnols signèrent un premier traité de non-agression en 1641. Ensuite, les hostilités reprirent, comme il se doit. Les termes des traités, c’est bien connu, n’engageant que ceux qui les croient. De violations des accords en soulèvements, un nouveau traité (un de plus) reconnut en 1773 l’indépendance de l’Araucanie. Après le départ des Espagnols, l’Araucanie, deviendra partie intégrante des deux nations qui se constituaient.
Du coté argentin, à l’indépendance en juillet 1816, les autorités n’eurent de cesse de chercher à étendre leur influence. Une série de campagnes militaires, organisées par le pouvoir argentin entre 1875 1884, sont connues sous le nom de «conquista del Desierto» (campagne du désert). L'objectif est de coloniser toutes les régions du sud de la région de la Pampa et de la Patagonie orientale, jusqu'alors appartenant aux natifs Amérindiens Mapuches.
Au moment d’acquérir son indépendance de l’Espagne en février 1818, le Chili ne voyait pas s’étendre son territoire au sud. Mais, en 1830, le gouvernement commença à envisager l’annexion des terres situées dans la partie australe. Une expédition navale lancée en 1843 pris possession officiellement de la région et fonda en 1848 Punta Arenas.
Précédemment, on les avait oubliés, nos « bons pères » Jésuites, fort de leur réussite dans d’autres contrées, avaient tenté l’aventure en Araucanie auprès des Mapuches avec l’espoir de les convertir à la « vrai » foi. Car ces « baptiseurs » de l’extrême n’hésitaient pas à baptiser à la chaine. Mais ils n’eurent pas, auprès de ce peuple, le succès escompté. Les Mapuches, rebelles dans l’âme, avaient su résister avant de les chasser.
Voilà, grosso modo, la situation à l'époque lorsque débarque au Chili, le 28 août 1858, Antoine de Tounens.
Antoine de Tounens débarque, donc, au Chili, le 28 août 1858, après deux mois de voyage, passage obligé, avant le percement du canal du Panama, par le cap Horn. Il a 33 ans.
Orelie Antoine Thounem nait le 1er février 1825 à Chourgnac en Dordogne. Prétendant être noble, il s’emploiera à faire reconnaitre ses origines et rectifier son nom. Il arrivera à ses fins. Après une longue bataille juridique, il deviendra Antoine de Tounens.
Il restera deux ans au Chili sans rien entreprendre. Il mena une vie sociale, fréquentant la « bonne » société de Santiago.
En France, il fit des études de droit avec quelques arrières-pensées et devint avoué par ambition familiale, en occupant la charge qu’on lui avait achetée. On voyage longtemps avant de partir. On voyage dès l’enfance avec les livres, des photographies, les récits entendus. Aujourd’hui sans doute si ajoutent la télévision, les réseaux sociaux etc… Mais ce ne sont là que des instruments, qui ne sont rien sans l’imagination et aussi cette petite flamme qui déclenche tout. On est, peut-être, déjà voyageur dans le ventre de sa mère dont la rondeur doit paraitre comme une mappemonde à parcourir.
Lui, depuis sa prime jeunesse, il affirme : « nos yeux s’étaient fixés, sans pouvoir s’en détacher, sur cette partie de l’Amérique ». Il puisa dans la lecture de la « Revue de géographie » que le seul peuple indien restant insoumis était la Confédération de Araucans. Affligé par la perte du Canada par la France au profit des Anglais, il était décidé à conquérir un nouvel empire. Ce sera une idée fixe. Une idée conforme à ses rêves d’enfance : l’Araucanie. Il décida d’en devenir Roi, un fantasme qu’il portait également depuis sa prime jeunesse. Il avouera s’être consacré à l’étude du droit dans le seul but de « pourvoir aux nécessités de la vocation qui nous entrainait… ».
Alors avoué, en Dordogne, quand depuis toujours, on se considère comme promis à l’aventure… J’allais écrire la gloire. La gloire, bof ! La gloire, ce n'est finalement que le regard des autres. Ça ne fait pas le poids à côté d’un rêve. Le regard et l’admiration des autres, on peut s’en passer. Enfin, jusqu’à un certain point. On ne peut vivre sans rêve. Lui, en tout cas, il ne pouvait pas. Il entrera ainsi dans la catégorie de ceux que l’on classe comme fous, asociaux et que la société condamne à la solitude. Solitude apparente seulement, car ils portent un monde en eux.
Donc, deux ans au Chili, sans rien entreprendre. Je suppose qu’il se renseigne, cherche des informations, prend des notes. Tout cela discrètement, mine de rien, pour ne pas éveiller les soupçons, éviter les questions qu’on ne manquerait pas de lui poser par suspicion ou par curiosité. Il redoute surement la curiosité des autorités chiliennes, mais aussi les inévitables sarcasmes de son entourage.
Il rencontre un chef militaire mapuche qui lui accorde un droit de passage sur ses terres, interdites aux Chiliens. Il développera alors des contacts réguliers et clandestins avec plusieurs caciques araucans. Il gagne la confiance de ces populations en leur promettant des armes pour résister à l’armée chilienne. Une confiance qui semblait bien établie puisque différents clans araucans annonçaient la venue d’un « Roi français ». C’est ainsi qu’Antoine de Tounens fonde le royaume d'Araucanie par deux ordonnances du 17 novembre 1860 et du 20 novembre 1860 avec le titre de roi sous le nom d'Orllie-Antoine Ier. Il écrit également dans la foulée pour faire bonne mesure une constitution.
Il écrit dans ses mémoires : « Je conçus le projet de me faire nommer chef des Araucaniens. Je m'ouvris à ce sujet à plusieurs caciques des environs, et, après avoir reçu d'eux le meilleur accueil, je pris le titre de roi, par une ordonnance du 17 novembre 1860, qui établissait les bases du gouvernement constitutionnel héréditaire fondé par moi. N'étions-nous pas libres, les Araucaniens de me conférer le pouvoir, et moi de l'accepter ? ».
Et puis Tounens expédie en France,en juillet 1860, à un chargé d’affaires, un ami notaire à Périgueux, une lettre de mission dans laquelle il se désigne comme « Sa Majesté le Roi des Araucaniens » et annonce à l’Empereur des Français la fondation d’un royaume en Araucanie. Il le charge de contracter un emprunt pour consolider les finances du futur royaume et de lever une armée. On s’aperçoit qu’il avait déjà fait des préparatifs avant son départ de France : un correspondant et aussi un « sceau royal ». Une armée ? Il prévoyait qu’il y aurait pour le moins de graves difficultés avec le Chili et l’Argentine qui pourraient envoyer des expéditions militaires contre le nouvel Etat. Il n’était ainsi pas aussi naïf et « fou » qu’on a bien voulu le prétendre.
Les Araucans étaient organisés sur le principe d’une confédération de nations. Il avait conclu un accord avec les Araucans qui voit en lui un libérateur. Il publie une constitution, crée un drapeau national. Ensuite, les Patagons se rallient à son entreprise, voyant l’occasion de se libérer des Argentins. A la suite de ce ralliement, il décrète : « Article premier : La Patagonie est réunie aujourd’hui à notre royaume d’Araucanie et en fait partie intégrante dans les formes et conditions énoncées dans notre ordonnance du 17 novembre courant ». Maintenant son territoire allait jusqu’au Cap Horn.
Une constitution qui en vaut bien d’autres. Un Roi, des ministres, un Conseil du Royaume, un corps législatif élu au suffrage universel, un organe juridictionnel. Il s’inspire en grande partie de la constitution française de 1852.
Tounens se sent légitime à devenir le Roi des Araucans qui l’accepte pour chef. En effet, deux traités, 1641 et 1773, consacraient l’indépendance de l’Araucanie. De plus, de par le traité de 1773, les Araucans avaient un résident à Santiago. Un ambassadeur en somme, preuve de leur souveraineté.
Selon Bruno Fuligni, il s'invente deux ministres, Lachaise et Desfontaines, dont il appose la signature au bas de ses actes. Patrick Thevenon écrit « Il s'entraîna, ainsi, à écrire de trois façons différentes, qui lui permettaient de légiférer, tour à tour, au nom du roi, de M. Lachaise, Premier ministre, ou de M. Desfontaines, garde des Sceaux ».
Il demande à la France de l'aider, mais il n'en obtient aucune de réponse.
Ensuite, Tounens va revenir à Santiago pour établir des liaisons avec la France et y vivre au grand jour durant 9 mois. En France, la presse se moque de lui. Bizarrement, le Chili resta longtemps indifférent. Et puis les autorités chiliennes vont s’inquiéter de la proclamation du royaume d’Araucanie à cause de la concentration de cavaliers que cela avait entrainé chez le peuple Mapuche et ensuite, sans doute, prendre conscience que les territoires d’Araucanie et de Patagonie pourraient susciter l’appétit de puissances coloniales.
Début janvier 1862, Tounens, victime d’un guet-apens, sera arrêté comme agitateur politique par les autorités chiliennes, interrogé et gardé 9 mois en captivité. Il avait été prévu de l’assassiner, mais par un concours de circonstances, il aura la vie sauve. Un procès se prépare. Le consul de France à Santiago suggère que Tounens ne jouirait pas de toutes ses facultés mentales et propose un examen médical. Les médecins le jugent sain d’esprit. Le procureur demande au juge une peine de dix ans de prison pénitentiaire pour le crime de perturbation de l'ordre public, mais en juillet 1862, le juge Matus rend sa sentence et affirme « qu'au moment où le délit a reçu un commencement d'exécution, M. de Tounens était fou ». Il suspend le procès et décide de remettre Antoine de Tounens à l'asile d'aliénés de Santiago, où un membre de sa famille pourra venir le réclamer ou le chargé d'affaires de France. Antoine de Tounens fait appel de cette sentence, mais un arrêté de la cour de Santiago du 2 septembre 1862 confirme la sentence du juge en le déclarant à nouveau fou. Antoine de Tounens est expulsé par les autorités chiliennes et le consul de France le fait embarquer pour la France le 28 octobre 1862.
Il arrive en France en mars 1863 et s'installe un temps à Paris, où il crée une petite cour. Il lance en 1864 un appel pour une souscription nationale de 100 millions. Ce projet échoue. En 1869, Antoine de Tounens tente une nouvelle expédition pour reconquérir son royaume et revient en Araucanie en compagnie d’un « associé-financier » nommé Antoine Planchu qui nourrit des arrières pensées concernant le trône d’Araucanie. Aux cours du voyage de Buenos Aires vers l’Araucanie, Planchu rebroussa chemin pour récupérer du courrier, mais aussi certainement parce qu’il ne se sentait pas fait pour une vie aventureuse. Tounens va retrouver les Araucans et va passer au milieu de « son peuple la plus belle période de sa vie ", dit-il. Il constitue un gouvernement. Puis ce sont de nouveaux incidents avec l’armée chilienne. Tounens fuit et retourne à Buenos Aires. La presse argentine signale sa présence dans la ville, preuve de sa célébrité. Une semaine après, il débarque à Montevideo où, il fut reçu par les autorités consulaires de France et des Etats-Unis. Mais en août 1871, il décide de rentrer en France. Entre Paris et le Périgord, il passe les années qui suivent.
Antoine Planchu resté en Amérique du Sud va tenter d’usurper le trône en cherchant à influencer les Araucans. Mais le succès d'Antoine Planchu ne dure pas longtemps, et on le retrouve noyé dans un cours d'eau quelque temps plus tard.
Quatre ans avant sa mort, alors qu'il était en " exil ", en France, il dessina et fit frapper en 1874 une monnaie du royaume d'Araucanie et de Patagonie. Antoine de Tounens fait une autre tentative pour se rendre en Araucanie et reconquérir son royaume. Cette fois, il revient avec armes et monnaie frappée aux armes du royaume. Tounens avait débarqué avec quatre compagnons qu'il a ralliés à sa cause, se faisant appeler Jean Prat, officiellement pour établir une société commerciale. Mais reconnu, il est arrêté et écroué à Buenos Aires en juillet. Puis après les protestations de députés de Dordogne, remis en liberté et expulsé en octobre 1874, il regagna la France. Il revient à Paris où il vécut dans la misère.
En 1876, Antoine de Tounens repart une dernière fois pour Montevideo en compagnie d’une personne qui semble-t-il finançait le voyage. Puis, nous le retrouvons à Buenos Aires. Le faux Jean Prat avait échoué, il revenait en Roi. A l’époque, la Patagonie n’était pour les Argentins d’aucun intérêt. Puis, il tomba gravement malade On le ramassa, inconscient, dans une rue de Buenos Aires et fut hospitalisé et opéré en octobre. Ensuite, il fut rapatrié en France et arriva à Bordeaux le 26 février 1877.
Rentré en France, Antoine de Tounens retourne dans sa région natale où l’archevêque de Bordeaux s'intéresse à son malheureux sort. Pour se procurer des ressources, il vend des brevets d'un ordre de chevalerie « mais ce petit trafic ne lui assura même pas du pain ». Il écrivit aussi un livre qui eut un certain succès. Malade et à bout de ressources, il entre à nouveau à l'hôpital de Bordeaux, d'où il envoie de nombreux courriers pour intéresser à son sort les innombrables membres des ordres de chevalerie.
Ensuite, il fut recueilli par son neveu à Tourtoirac et mourut le 17 septembre 1878.
Depuis 1882, des Français (sans liens entre eux ni avec Antoine de Tounens) sont prétendants au trône du « Royaume d’Araucanie et de Patagonie ». Quant aux territoires des Mapuches, revendiqués pour royaume par Antoine de Tounens, ils ne sont plus indépendants depuis leur partage, en décembre 1902, entre le Chili et l’Argentine, sous l'arbitrage de la Grande-Bretagne. Il n’y eut jamais à part ce bref épisode de « Royaume d’Araucanie et de Patagonie », mais les conflits entre les populations mapuches et les autorités de ces pays sont toujours d’actualité.
Le hasard de mes lectures (ou relecture) me fait tomber sur un passage de l'ouvrage de Fernando Pessoa : " Le livre de l'intranqilité ".
Ce " voyage inaccompli ", comme s'intitule le chapitre, me semble bien s'insérer dans ce voyage en Patagonie qui n'a pas eu lieu. Je vous le livre (si je puis dire) en vous invitant à lire de bouquin le Pessoa.
" C'est par un crépuscule vaguement automnal que j'ai pris le départ pour ce voyage, jamais réalisé [...]
Je ne suis parti d'aucun port connu. J'ignore encore aujourd'hui quel port ce pouvait être, car jamais je n'y suis allé. De même, le but rituel de ce voyage était-il d'aller en quête de ports inexistants -- des ports qui se seraient réduits à l'entrée-dans-des-ports ; des baies oubliées, à l'embouchure des fleuves resserés dans les villes d'une irréprochable irréalité. Vous jugez sans aucun doute, en lisant ces lignes, qu'elles sont totalement absurdes. Mais c'est que vous n'avez jamais voyagé, comme moi, je l'ai fait.
Suis-je vraiment parti ? Je n'en jurerai pas. Je me suis retrouvé en d'autres contrées, dans d'autres ports, j'ai traversé des villes qui n'étaient pas celle-ci -- même si ni cette ville ni les autres n'étaient, en fait, aucune ville au monde. Vous jurer que c'est bien moi qui suis parti, et non pas le paysage ; que c'est moi qui ai parcouru des pays situés ailleurs, et non pas ces pays-là qui m'ont parcouru -- non, je n'en jurerais pas. [...]
J'ai voyagé, voilà tout. J'estime inutile de vous expliquer que je n'ai mis, pour voyager, ni des mois, ni des jours, ni aucune autre quantité de quelque mesure du temps que ce soit. J'ai voyagé dans le temps, bien entendu, mais non pas de ce côté-ci du temps, où nous le comptons en heures, en jours et en mois ; c'est de l'autre côté du temps que j'ai voyagé, là où le temps ne connait pas de mesure. Il passe, mais sans que l'on puisse le mesurer. Il est, en quelque sorte, plus rapide que le temps que nous avons vu nous vivre. Vous m'interrogez intérieurement, sans doute, sur le sens que peuvent bien avoir ces phases. N'allez pas commettre une telle erreur. Défaites-vous de cette habitude puérile de demander leur sens aux mots et aux choses. Rien n'a de sens.
Sur quel navire ai-je fait ce voyage ? Sur un bateau nommé Quelconque. Vous riez. Moi aussi, et de vous peut-être. Qui nous dit, à vous comme à moi, que je n'écris pas des symboles faits pour être compris des dieux ? "
" Patagonie intérieure " Lorette Nobécourt, paru chez Grasset en 2013.
Il y a environ deux ans, j'étais tombé sur ce livre de Lorette Nobécourt. J'avais le projet, jamais réalisé pour l'instant, d'aller en Patagonie. Au fil des pages, j'ai, petit à petit, découvert que comme elle, j'étais, sans doute, à la recherche d'un monde intérieur plus que d'un pays réel.
L’éditeur nous dit : « Un hiver, Lorette Nobécourt part seule au Chili pour réaliser « ce rêve très grand et très ancien d’aller un jour en Patagonie ”
De Valparaiso jusqu’en Terre de Feu, en bateau, à pied, en bus, l’auteur nous emmène au bout du monde où se dévoilent, à travers des paysages inouïs, les contours de cette Patagonie intérieure que nous portons tous, espace libre et sauvage dont nous est révélée ici la géographie intime. ”
Voyageons au gré des pages du livre.
“ Et pourquoi faut-il que je m’éloigne toujours et si régulièrement de ceux par qui je me suis laissé apprivoiser ? Quelle est cette quête d’un ailleurs qui n’existe qu’à l’intérieur de nous-mêmes ? […] Et pourquoi sommes-nous incapables de reposer là d’où nous venons, où nous avons toujours été, dans la demeure de l’amour, là où enfin commencerait le vrai voyage ? Dans quelle Patagonie intérieure trouverai-je le repos ? […]
Et faut-il donc toujours reconvoquer l’épreuve du manque pour être augmenté de la présence par l’absence ? ”
“ Et pourquoi sommes-nous incapables de reposer là d’où nous venons “ écrit-elle. Mais d’où venons-nous ? C’est peut-être parce que nous l’ignorons que certains sont constamment à la recherche des origines profondes qui nous sont inconnues. Le vrai voyage ne commence-t-il pas, en fin de compte, quand nous sommes arrivés au bout de notre ignorance ?
“ Il doit être à peu près quinze heures. Le bruit de l’ancre que l’on remonte annonce le départ “. […]
Alors peut-être que le voyage commence. La Patagonie ressemble-t-elle à ses images ? Est-ce cela seulement qu’il nous reste ? Entrer dans les images ? “
Est-ce que nous percevons objectivement ce que nous voyons ? Ou bien sommes-nous toujours influencés par l’idée que nous faisons des choses ou des gens aussi. Nous abordons le monde avec les préjugés que nous nous sommes forgés au cours des années, préjugés acquis par nos lectures, par des images, alimenter par les autres, mais aussi par ce qu’ils correspondaient à ce que nous espérions intimement et qui nous le rendait vivable.
Alors, “Entrer dans les images ? “, au prix de la réalité ? Mais l’imaginaire, ne fait-il pas également partie de la réalité ? L’imaginaire, nous le portons en nous. Et, si nous existons, alors l’imaginaire existe comme une partie de la réalité.
“ La Patagonie, ce n’est pas un mot. C’est ce quelque chose d’inarticulable qui écorche et soulage dans le même instant. ”
C’est comme l’amour qui nous “ écorche “ mais que nous cherchons désespérément. Apparent paradoxe. Dans l’amour, est-ce que nous ne cherchons pas précisément la souffrance qui nous fait exister.
“ Ce n’est pas un paysage. C’est une porte. […]
Cette porte ouvre à l’intérieur de soi. ”
Peut-être parce que nous portons un monde en nous. C’est là que commence le voyage.
“La beauté inépuisable de la Patagonie nait de l’absence de l’homme. Existe-t-elle si aucun homme n’est là pour en témoigner ? ”
Sans doute pas. La beauté n’est que dans le regard que nous portons sur les choses. Mais en allant vers la beauté, est-ce que nous ne la détruisons pas ? Comme nous réduisons à rien le silence, uniquement en prononçant son nom. C'est, peut-être cela, le péché originel. Cette impossibilité de l'innocence.
“ Une joie inexplicable me prend tout entière. Il n’y a rien. Rien. Rien. Sinon des étendues illimitées qui profanent l’habitude du regard et le forcent à se perdre. ”
Et, je me dis que ces paysages désolés qui “ profanent l’habitude du regard “, procurent un sentiment d’ivresse, l’éphémère sensation d'une perfection improbable.
L’immensité, futile beauté d’une solitude assumée, réveille l’absence de toi, toujours distante, mais que je réinvente sans cesse dans l’exil de mes songes, vaine illusion de te ravir à un passé qui toujours vibre en toi. L’immensité, c'est un regard inachevé. Où le regard s’égare, le temps s’arrête.
Ici tout se confond, passé, présent, futur et résonne étrangement avec ce passage d’un bouquin de William Faulkner : « Tout est à présent, comprends-tu ? Hier ne finira pas demain et demain a commencé il y a dix mille ans ». Ici, dans la solitude et le silence, flotte un temps cristallisé où tout peut toujours renaitre. Voir à perte de vue, c’est ne plus rien voir d’autre qu’un monde à recommencer. L’immensité, c’est le monde comme il a toujours été.
Au-delà de l’œil, il y a le rêve. Quand je ne vois plus, j’imagine. J’invente une autre réalité. C’est là où je voyage.
“ Je m’installe, il n’y a plus qu’à se mettre à écrire le livre, […] Le bout du monde, le bord du monde, c’est donc en dedans qu’il faut l’aller chercher. Dans l’isolat, de la langue dont on ne connait pas la filiation. Dans le verbe dont on ignore l’origine puisqu’il est l’origine même. ”
Nous ne savons effectivement jamais ce que nous écrivons puisque avant de coucher la phrase, nous ignorions encore les mots qui allaient la composer.
Et puis, l’auteur de conclure : “ En regardant la carte, de retour en France, je verrai la Terre de Feu si loin, si minuscule, au sud du Chili. Aurai-je donc été là-bas, vraiment ? Comment pourrais-je en avoir la preuve ? Tout cela n’aura-t-il pas été un rêve ? Un livre dans le livre du livre ? C’est peut-être maintenant que j’écris que le voyage commence ? ”
Le voyage, une fiction réelle ? Entre imaginaire et réalité.
Pourquoi cartes postales ? Les cartes postales sont un moyen de correspondre et aussi de voyager. Nous les trouvons un jour dans notre boite à lettres ou bien par hasard, oubliées à l'intérieur d'un livre qui nous parle du pays. Un roman, un essai, un livre d'histoire, un recueil de poésie etc... qui évoquent l'actualité ou sont des récits du passé. Elles nous invitent à un voyage dans le temps et l'espace. Elles nous font plonger dans la réalité ou l'imaginaire.
La crise de la dette grecque débute en 2008 quand se font jour des craintes sur la capacité de l’état grec de rembourser sa dette publique et les intérêts qui y sont attachés. La Grèce est entrée dans la zone euro le 1er janvier 2001.
On peut lire dans les journaux de l’époque ce genre de commentaire : « La situation n'entre pas dans les critères de convergence pour entrer dans la zone euro et le gouvernement grec l'a occulté lors de la présentation de sa dette publique, notamment par la collecte de fonds hors bilan et par le biais d’instruments financiers mis au point par la banque d’investissement Goldman Sachs. » C’est-à-dire Goldman Sachs a menti et truqué les comptes. Mentir aux autorités européennes, ce n’est pas bien. Mentir en règle générale, non plus d’ailleurs. Mais est ce que les autorités européennes ne savaient pas qu’on leur mentait ? Et est-ce qu’elles ne voulaient pas voir le mensonge ? Et le gouvernement grec ? Caché ce bilan truqué que je ne saurais voir. N’y a-t-il pas à Bruxelles assez de conseillers, d’experts, d’avocats, de juristes, de politologues, d’astrologues de tous bords pour détecter la fraude. Ou alors l’Europe est dirigée par une bande d’incompétents. Il ne faut rien exclure. Goldman Sachs a-t-il pris l’initiative de truquer les comptes ou l’a-t-on encouragé ou fait comprendre que… ? Est-ce que Goldman Sachs agit en toute indépendance et donne des avis sans tenir compte de ses intérêts ? Pourquoi cette interrogation ? Pour l’anecdote, rappelons que Monsieur José Barroso a été président de la commission européenne de 2004 à 2014. Après sa sortie de fonction, il a été recruté en 2016 par… Goldman Sachs. Non ! Si ! Ensuite, de toute évidence, on a embarqué les Grecs sur un navire qu’ils ne maîtrisaient pas. Et puis de plan d’austérité en plan d’austérité, on a fini par leur imposer une troïka. La troïka, c’est à dire, les experts représentant la Commission européenne, la Banque Centrale Européenne et le Fonds Monétaire International chargés d'auditer la situation économique grecque et notamment l'état de ses finances publiques dans le cadre de l'accord de refinancement de la Grèce. La troïka est également chargée, avec l'État membre concerné, de l'élaboration des décisions officielles de l'Eurogroupe. C’est-à-dire que les fonctionnaires européens prennent à la place du gouvernement démocratiquement élu certaines mesures pour les imposer au peuple. Le parlement européen a même fini par avouer un manque de légitimité démocratique de la troïka. Ah, bon !
Début de 1821, les Grecques se soulèvent contre l’Empire ottoman. L’insurrection connait des revers et est durement réprimée. Les Grecques se révoltent contre l’injustice et l’oppression ottomane, mais les insurgés n’en sont pas pour autant unis. De profondes fractures sociales traversent le mouvement national. Le peuple en armes lui attend des changements conséquents touchant ses conditions de vie, l’ordre social et une organisation politique démocratique.
Début 1822, une alliance des différents courants permet la constitution d’une Assemblée nationale composée des représentants des assemblées régionales. Une constitution est adoptée. Puis, l’Assemblée proclame une déclaration d’indépendance. La guerre d’indépendance devient une « épanastasi ». Une révolution. Mais dans le contexte international, la Sainte Alliance voit dans le mouvement non pas un peuple qui se libère, mais des sujets en rébellion contre leur souverain. Les monarques européens ont de fortes réticences à soutenir un peuple, certes chrétiens, mais dont le combat se réclame clairement des Lumières et de la Révolution française.
La lutte armée donne lieue à des combats meurtriers et de nombreux massacres. En Europe va se développer un philhellénisme intellectuel et humanitaire à l’initiative de quelques « intellectuels », Victor Hugo, Goethe, Alfred de Vigny, Berlioz, Lord Byron, etc.. relayé par les journaux libéraux, mais aussi des contingents de volontaires de différents pays qui vont rejoindre les forces grecques.
Entre 1825 et 1827, la révolution grecque subit de nombreux revers. Les puissances européennes, France, Royaume-Uni, Russie, Allemagne, sont toujours frileuses pour laisser se créer un état indépendant, conséquence de la révolte d’un peuple contre son souverain, même s’ils rêvent de détruire l’Empire ottoman. Metternich pourra déclarer : « Nous ne voulons pas d’une république de bandits ou d’une monarchie composée et organisée par l’écume des révolutionnaires d’Europe ». C’était clair. Non !
En 1827, par un traité tripartite, la France, l’Angleterre et la Russie, proposent leurs « bons offices » acceptés rapidement par les Grecs, mais que l’Empire, encouragé par l’Autriche refusera. Le jeu des Puissances européennes de l’époque rappellent beaucoup par leur changement de positions selon les intérêts du moment face à un même problème de ce qui se passe aujourd’hui à l’intérieur l’Union Européenne.
En octobre 1827, finalement, les forces alliées réduisent à néant la puissance maritime des Ottomans. A partir de janvier 1828, ce qui n’est pas encore un Etat va être administré par un dénommé Kapodistrias, qui après avoir mis en place une constitution et des institutions laïques (malgré l’opposition de l’épiscopat), démocratiques, s'empressera de faire un coup d’Etat et établir un régime personnel. Il faut dire que les Puissances qui venaient d’envoyer prestement des consuls en Grèce, ne voyait pas d’un bon oeil l’établissement d’un Etat démocratique et indépendant. Quand on demandait à Kapodistrias pourquoi, il avait supprimé la constitution, il répondait : « Parce que c’était ce que voulait l’Europe ». On ne peut pas dire mieux. D’autres dirigeants Grecs dans des périodes plus récentes, auraient pu tenir le même langage. A partir de là, le grand marchandage va commencer. L’Angleterre souhaite une Grèce réduite au Péloponnèse et aux Cyclades. Les Grecs, bien sûr, réclament l’Attique, la Boétie, l’Ubée, la Thessalie et aussi l’Epire et la Crête. La France et la Russie naviguent entre deux eaux, ne sachant pas toujours où placer le curseur de leur sintérêts.
En mars 1829, à Londres, les puissances décident …. Et oui, à l’époque, on décidait, du sort de la Grèce et des millions de ses ressortissants dont beaucoup étaient morts pour la liberté, à Londres. Tout évolue, plus récemment, c’est à Bruxelles que se prendront ce genre de décisions avec des effets toujours aussi néfastes pour le peuple. Donc, les Puissances décident que cette Grèce au territoire réduit à peau de chagrin deviendra autonome, mais pas indépendante, car elle reste vassale de Constantinople. Cette province autonome de l’Empire ottoman sera, en outre, gouverné par un prince héréditaire chrétien. Le sultan refuse de signer ce protocole. Et tout s’enchaine d’opérations militaires en accords de principe puis rejet de ces accords pour aboutir au troisième protocole de… Londres toujours, bien sûr, le 3 février 1830, qui stipule : « La Grèce formera un Etat indépendant et jouira de tous les droits politiques, administratifs et commerciaux attachés à une indépendance complète ».
A partir de là, vous pourriez penser que les Grecques vont pouvoir jouir d’une liberté bien méritée. Même pas en rêve ! Déjà, la Grèce ne sera pas une république malgré l’opposition de nombreux Grecs qui considèrent la monarchie contraire aux principes de la révolution. Et puis quoi encore ! On lui cherche un souverain. Après de multiples tractations, et à force de chercher, on le trouve. Et le vainqueur est… le prince Othon, fils cadet de Louis Ier de Bavière. Il a tout juste 17 ans. Est ce bien sérieux ? « On n’est pas sérieux quand on a 17 ans ». Ça on le sait depuis Rimbaud, mais en 1830, il n’est pas encore né.
Le nouveau roi prendra ces fonctions en février 1833. La Grèce va pouvoir prendre son envol. Malheureusement, dès ses débuts sur la scène internationale, elle se retrouve clouée au sol par… vous avez deviné, allez un petit effort, une très lourde dette provenant des années de guerre et alourdie par d’importants intérêts. Ce sera pour les Puissances un moyen de pression dissuasif réduisant à néant toutes velléités d’indépendance réelle. D’autant plus, que devant la jeunesse du roi et sa quasi-incompétence à la gestion d’un royaume si petit soit-il, on lui a adjoint 30 000 Bavarois. On devine tout de suite que ça ne va pas être du gâteau. Tous ces fonctionnaires vont en plus de la dette initiale couter fort cher à l’Etat et… aux Grecs, car en fin de compte, c’est bien eux qui vont payer.
Le pouvoir est aux mains d’un pouvoir tricéphale. Une troïka avant l’heure et qui comme celle que l’on imposa au peuple grec au XXIe siècle va gouverner avec dédain et prendre des décisions contraires aux souhaits du peuple grec, mais conforme aux intérêts des puissants représentant l’étranger.
La révolution grecque s’était inspirée des principes de la révolution française. Elle voulait établir la souveraineté populaire au travers d’un régime constitutionnel représentatif, fonctionner avec une séparation des pouvoirs, assurer la garantie des libertés individuelles et publiques, mettre en place un Etat social, évoluer vers plus de justice. Pour cela, ils avaient consenti à bien des sacrifices, acceptés de subir bien des massacres et bien des privations pour arracher leur indépendance. 200 000 morts pour un Etat qui en 1930 comprend une population qui ne dépasse pas les 800 000 habitants.
" La marche des neuf " de Thanassis Valtinos aux éditions Actes Sud (première édition 1978)
Avant de parler du livre, il faut en rappeler le contexte. A la fin de la deuxième guerre mondiale, les résistants grecs à l’occupant nazi sont mis à l’écart par le régime politique qui s’est installé, soutenu par les Alliés, principalement les Etats-Unis et les Anglais, favorisant quand cela sert leurs intérêts des collaborateurs d’hier avec l’occupant.
Une partie des anciens résistants vont reprendre les armes. Ils rêvaient à la sortie du conflit d’une Grèce républicaine, démocrate et sociale. Cela avait été le sens de leur engagement et de leurs sacrifices durant toutes ces années. Les anciens mouvements, ELAS et EAM, forment en octobre 1946, « l’Armée Démocratique de la Grèce ». Comme en Espagne lors de la guerre civile, quelques années auparavant, le pays va être profondément divisé. Ces divisions se feront sentir même à l’intérieur des familles.
C’est dans ce contexte que se situe ce roman.
Trois ans plus tard, cette armée est écrasée, décimée. Les partisans sont traqués, par les forces du pouvoir en place, avec la complicité d’une partie de la population qui n’hésite pas souvent à les pourchasser ou les dénoncer aux autorités. C’est le récit d’une fuite des partisans. Mais ce récit pourrait, et c’est là sa force, se dérouler n’importe où, à n’importe quelle époque. Il nous parle d’une lutte désespérée et du tragique face à l’attente d’une mort qui apparait au fil du livre comme de plus en plus inéluctable.